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Diversité et non discrimination

L’interculturalité comme remède à l’humiliation des migrants

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Cet article, de Lambros Couloubaritsis, ULB et Académie Royale de Belgique, fait écho à l’approche de H. Bendhaman sur l'approche psychanalytique de la culture maghrébine. (voir cette page)

 

Contenu :

 

Bien que la migration, lorsqu’elle aboutit à une immigration réussie, ait des effets favorables pour le pays d’accueil (développement économique, équilibre démographique, etc.), elle est pourtant souvent perçue comme négative. Elle est présentée comme une démarche en sens unique, où le migrant demande l’hospitalité pour survivre, tout en refusant de s’intégrer, au point d’alimenter la délinquance. Cette configuration ne traduit pas toujours la réalité du phénomène de l’immigration et des souffrances vécues par les migrants et leurs familles. Elle défigure la réalité en relevant uniquement le devoir de reconnaissance de l’immigré, occultant ses douleurs physiques dues aux conditions de vie passées (et présentes), ses souffrances psychiques et ses souffrances morales invisibles qui se concrétisent surtout par humiliation, l’incompréhension, la culpabilisation, le sentiment d’une dette ineffaçable, etc.

 

Or, déjà, dans l’Antiquité, Sénèque avait discerné le statut de la demande et ses conséquences pour fonder une théorie de la bienfaisance. Il écrit : “je demande” est “un mot humiliant qui pèse et ne peut se dire que le visage baissé”. Cela signifie que si un être humain subit cette situation, c’est qu’il est contraint de demander à cause des aléas de la vie, dont il n’est pas nécessairement responsable. Dès lors, comprendre que même quand un service est prompt (grâce à la solidarité mise en forme dans les pays civilisés) et ne donne pas l’impression de devoir être arraché par le demandeur, il n’en laisse pas moins une trace indélébile dans le psychisme des migrants parce qu'il répond en fait à une demande. Cette souffrance morale, qui concerne le surmoi, requiert des réponses. 

En m’inspirant de Sénèque qui a montré qu'il faut anticiper la demande, j’ai insisté, dans une étude, sur la bienfaisance comme bien faire et comme obligation en rapport avec une révenance. Cela permet de voir que le rapport entre donner et recevoir déborde le champ de la problématique classique de l’échange, du potlach et du don, popularisés depuis Marcel Mauss. Ce rapport peut requérir une nécessité de donner par obligation morale au nom de la dignité humaine et du principe de l’hospitalité, et non, comme dans le passé, par charité ou même par solidarité purement sociale. Dans les faits, il est vrai, cette obligation morale suscite un paradoxe : elle s’adresse à une personne humaine, avec sa fierté, qui peut ressentir le don ou l’accueil comme une forme d’humiliation, alors qu’elle est contrainte d’assumer la situation parce qu’elle n’a pas d’autre issue. 

C’est sur ce plan que le don ou/et l’accueil ne sauraient plus être seulement des actes qui se limitent au triptyque donner‐recevoir‐rendre, mais appartiennent à l’ordre du bienfait et de la bienfaisance, dans le sens d’un faire le bien et selon une attitude de prévenance. La complexité d’un tel processus, que l’on banalise d’habitude, doit trouver les moyens de proposer des modes constructifs d’expression (en vue de résiliences) comme réponses aux diverses souffrances, parmi lesquelles la souffrance morale joue un rôle majeur, parce qu’elle touche au plus profond de la vulnérabilité du migrant. 

Pour illustrer cette complexité, je retiendrai deux processus, parmi d’autres possibles, qui me semblent capables de susciter un débat fécond, parce qu’il dépasse le constat des souffrances pour s’élever sur le plan des réponses. Le premier est d’ordre, si j’ose dire, psychologique, et concerne les sentiments vécus non seulement par les migrants mais également par ceux qui les accueillent. Le second est d’ordre culturel, et concerne les rapports entre la culture des migrants et celle des populations d’accueil. 

— En élargissant le cadre psychologique, on peut dire que répondre à la souffrance de l’autre suppose une inclination à faire le bien, un empressement à y répondre et, en même temps, un sentiment de bienveillance qui procure de la joie à l’être souffrant, joie qui aussitôt suscite la joie de celui qui réalise le bienfait. C’est dans ce champ que les expressions en vue d’une résilience répondent aux pressions suscitées par les souffrances. Tout se passe comme si une double joie répondait à une double souffrance : à celle de l’être souffrant et à celle de l’agent du bienfait dès lors qu’il découvre la souffrance de l’autre et assume une inclination à faire le bien avec empressement. Plus qu’une reconnaissance de l’autre par le bienfait qu’on dispense, la joie ressentie grâce à la joie procurée constitue sans doute une suprême récompense, car elle confère à l’intention de faire le bien un contenu, le seul sans doute qui puisse répondre aux multiples pressions, causes des souffrances vécues. 

— Dans le monde contemporain, depuis qu’au nom de la dignité humaine, la démocratie insiste sur l’égalité entre les êtres humains (différences de sexes, de races, d’origine sociale, de culture, etc.), les divers processus de (im)migration ont promu l’idée d’une multiculturalité, fondée sur la reconnaissance irréductible des différences. Avec le temps, il est apparu que la multiculturalité peut promouvoir des pratiques incompatibles avec la dignité humaine, comme l’excision, le refus de l’égalité entre homme et femme au nom de l’idée de complémentarité, etc. De telles attitudes empêchent l’intégration des migrants dans les pays d’accueil, et peuvent favoriser, au nom de la différence, des proximités identitaires. Il ne faut pas oublier que l’apartheid sud‐africain s’était basé, également sur le respect de la multicultiralité pour (soi‐disant) préserver leur culture… 

De même, la concentration identitaire des employés de la Communauté européenne à Bruxelles, confirme ce phénomène. En réalité, les proximités relationnelles positives aptes à accompagner les proximités spatio‐temporelles supposent une politique favorable à l’interculturalité. L’analyse de l’interculturalité, qui constitue un nouveau domaine de recherche en sciences humaines, permet de découvrir que l’immigration ne se résume pas à des droits (santé, travail, logement…), mais elle doit être organisée selon, des stratégies de rapports culturels. C’est dans ce sens qu’elle peut devenir féconde pour l’édification, dans n’importe quel pays, de rapports favorables entre des êtres humains de culture différente.

 

 

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