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Diversité et non discrimination

La face cachée du management de la diversité

 

LA FACE CACHEE DU MANAGEMENT DE LA DIVERSITE  

EFFET DE MODE ? RECHERCHE DE LEGITIMITE ? DISCOURS ?

 

Article d’Isabelle Barth, professeur de Sciences de gestion à l’IAE de Lyon, l’IAE de Metz et l’ISEOR

 

Le management de la diversité

 

Le management de la diversité est, depuis quelques années, présent dans nombre de discours politiques (c'est une priorité affichée du dernier gouvernement français avec la création d'un Ministère pour la Promotion pour l'Egalité des Chances), comme dans la communication des entreprises et des organisations publiques. Ainsi, la plupart des grandes entreprises en ont fait un axe stratégique fort et communiquent largement sur ce thème dans leurs sites Internet (cas de la SNCF, du groupe Casino, du groupe Accor, de Total, de Hewlett Packard …). Du côté de la recherche, le management de la diversité est devenu un thème mobilisateur (comme peut le montrer une rapide recherche sur Factiva et ABI Inform avec ce mot clé), et la presse managériale, comme la presse grand public, se font très régulièrement l'écho de cette problématique. Le management de la diversité peut être défini comme le management des personnes dans la valorisation de leurs différences respectives et celle de la mise en commun de ces différences (ces différences relevant de critères précis : genre, orientation sexuelle, origine ethnique, conviction religieuse, handicap …) (Bender, 2006).

 

Le management de la diversité a succédé à d'autres dispositifs, particulièrement la lutte contre la discrimination ou l'égalité (Laufer, 2003 ; Bender, 2004). On perçoit alors l'enjeu de "nommer les choses". En ceci, le "management de la diversité" rassure car il renvoie une image positive de nos sociétés humaines, en effet, proposer la diversité occulte sa face obscure qu'est la discrimination. Le management de la diversité incite à considérer de manière privilégiée les atouts liés à la différence et à penser le développement de chaque individu dans le respect de ses spécificités. Dans une société où l'ellipse est reine, "manager la diversité" tient alors autant du slogan, que du mot d'ordre, dans un élan à la fois généreux et simplificateur, qui occulte la grande complexité du phénomène et ses difficultés de mise en œuvre.

 

Ainsi, le management de la diversité évoque et invoque nombre de principes, de valeurs, de processus, de dispositifs … le simple constat du nombre de critères de discrimination qui présente un caractère quasi inflationniste illustre cette observation (Point, 2006). Cette profusion expose le management de la diversité à une grande difficulté de définition. La question se règle, le plus souvent, par des réponses limitées à l'illustration, à la fois localisée et limitée dans le temps. Selon un principe métonymique, le management de la diversité est alors réduit à un cas de population discriminée sur une seule séquence de la vie du salarié en entreprise, on va par exemple mettre en avant : "l'embauche en contrat d'apprentissage, à la rentrée, de 50 jeunes des banlieues"… ou "la nomination d'une femme à la tête d’une filiale importante d’un grand groupe", ou encore, "la mise à l’écran d’un présentateur de JT d’origine antillaise". Le cas particulier a alors force de principe.

 

Le management de la diversité pose ensuite le problème d'un terme faisant partie d'une galaxie de concepts proches, également très "en vogue" ces dernières années, qu'il est difficile de dissocier et de positionner entre eux, et souvent utilisés l'un pour l'autre. Nous retrouvons ainsi les termes de "management durable", "management responsable", "éthique" … la clarification est bien souvent rappelée mais le flou et la confusion perdurent, et on peut légitimement se poser la question de savoir si on peut faire du management de la diversité sans être éthique, ou du management responsable sans management durable… On s’installe dans la vision d’une entreprise ayant des obligations morales vis-à-vis de la société, et devant mieux contrôler ses « externalités négatives », c’est à dire les conséquences indésirables de ses activités, chômage, pollution, appauvrissement (Caroll, 1979, Sethi, 1975 …)…

 

Ceci implique une capacité à mener une stratégie à long terme, intégrant les intérêts souvent contradictoires, voire incompatibles des différentes parties prenantes de l'organisation, et n’excluant pas la performance économique et financière. Ce formidable challenge est camouflé par le consensus, l'évidence, voire la laudation systématique, le ralliement d'évidence, qui entourent le management de la diversité. Ces attitudes d'individus intuitu personae ou de mandataires d'organisations, peuvent alors paraître opportunistes, à la fois conformistes et conformes aux attentes. Elles sont, pour le moins, porteuses de questionnements.

 

Il est de notre rôle de chercheur en sciences de gestion, de nous interroger sur l'authenticité des discours du management de la diversité et de leur adéquation avec les mises en œuvre effectives. Nous proposons donc, dans cette communication, d'explorer la "face cachée" du management de la diversité.

Il n'est évidemment pas question de remettre en cause le bien fondé et la pertinence du management de la diversité, dans son essence, mais nous souhaitons ici :

 

- le saisir dans toute la complexité du phénomène, au-delà de la simplicité saisissante (et paradoxale) de la locution qui le décrit,

- proposer une vigilance sur les risques de dérives et de facilités, effets d'annonces ou discours simplificateurs, qui peuvent produire des dissonances cognitives chez les salariés ou les consommateurs, cet effet de dissonance se retrouvant dans toutes les grandes campagnes de communication ne prenant pas assez en compte ce que vivent au quotidien les salariés, et enfin, comprendre le rôle du, ou des discours dans la construction du processus managérial, en partant du cadre théorique des représentations, qui nous permet d'observer comment le contexte façonne le discours, qui le façonne en retour.

Pour tenter de répondre à ces questions, nous proposons d’examiner le management de la diversité selon trois grilles de lecture :

 

- La théorie de la construction de la légitimité, en partant de l'hypothèse que le management de la diversité peut être un levier dans une stratégie de légitimation de l'entreprise auprès de ses parties prenantes.

 

- Le rôle du discours et son poids dans la construction du phénomène : en partant de la théorie des représentations, nous analyserons le discours sur le management de la diversité et son pouvoir (dans une logique de construction) sur les actes et les stratégies des acteurs de l'organisation.

 

- La théorie des phénomènes de modes, particulièrement des modes en management, en nous posant la question de l'"effet de mode" dans le domaine de la diversité, et de ses implications pour les organisations,

Nous travaillerons à partir de discours d'entreprises (sites Internet, rapports) et d'entretiens avec des responsables de la diversité dans des entreprises. Notre propos est donc de mieux saisir un phénomène plébiscité, mis sur la place médiatique, à fort enjeu sociétal, et dont la mise en œuvre relève de l'organisation (entreprises privées comme organisations publiques). Car le management de la diversité touche chaque personne dans son intimité (surtout si elle est issue d'une population discriminée), mais se définit comme un fait social. Nous allons chercher à comprendre dans quelle mesure le management de la diversité est une construction, avec toute la richesse, mais aussi les limites que cela implique.

 

1. le management de la diversité comme stratégie de légitimation

 

Toute organisation porte un projet stratégique de recherche de légitimité, nous allons voir maintenant les enjeux de cette légitimité, comment le management de la diversité peut en être un levier, et vis-à-vis de qui. Si cette vision du management de la diversité l'inscrit dans un temps long, elle ne s'oppose cependant pas, à la recherche d’une efficacité et d’une efficience économique à plus court terme.

 

1.1.         Définition de la légitimité

 

La légitimité peut se définir comme la : "perception généralisée ou supposition selon laquelle les actions dune entité sont désirables, appropriées dans le cadre d'un système socialement construit de normes, valeurs, croyances et définitions" (Suchman, 1995). La légitimité est l'état qui permet de ne pas être remis en question, elle se distingue de la réputation (qui est comparative) (Deephouse et Carter, 2005).

 

Cette recherche de légitimité n'est pas une tendance récente de la vie des organisations mais on observe qu'elle est à plus fort enjeu maintenant que l'entreprise se pose comme acteur social (Bowen, 1953). Les entreprises sont de plus en plus impliquées dans la vie de la Cité, comme on le constate dans le cadre du management responsable, du management durable. La sphère marchande est de plus en plus en interférence avec la sphère politique, elle la précède même comme on peut le constater sur des problématiques comme la lutte contre les discriminations : on peut ainsi observer l’organisation d’une institution comme la HALDE (DDD) qui réunit dans son « comité exécutif » des responsables d’entreprises.7

 

On peut faire le constat de l’ « efficacité » des entreprises dans le domaine sociétal, l'horizon temporel et les moyens mis en œuvre ne sont pas les mêmes, ce qui ne va pas sans certaines tensions, comme le montrent les réactions vives du monde judiciaire face aux prises de position récentes de la HALDE (DDD). Dans le même temps, nous observons que la relation contractuelle est de plus en plus exclusive, nous sommes dans l'abandon du gratuit et beaucoup d'organisations publiques (sans parler de celles qui se privatisent) adoptent une relation au client plutôt qu'à l'usager, que l'on songe à l'hôpital par exemple. C'est dans ce contexte que nous plaçons notre réflexion.

 

1.2.         La diversité comme ressource

 

Deux types de stratégies de construction de la légitimité peuvent être mises en œuvre, la première est à perspective managériale, on observe alors une instrumentalisation de la diversité pour satisfaire les objectifs de l'entreprise. La diversité est, dans ce cas, considérée comme une ressource … comme une autre. On peut qualifier cette stratégie de « symbolique » à la suite de Capron et Quairel-Lanoizé (2004), l’enjeu d’image prend le pas sur les convictions profondes. L'entreprise et son équipe dirigeante vont alors essayer de repérer les attentes des différentes parties prenantes, pour y répondre au mieux.

 

Toute la difficulté est de mettre en adéquation des attentes qui peuvent être très hétérogènes et variées, voire antagonistes, l'entreprise va donc être obligée d'exercer des arbitrages entre les différents pouvoirs exercés. A titre d'exemple : faut-il mettre en place un recrutement diversifié qui ne portera ses fruits qu'à moyen terme, quitte à obérer la rentabilité à court terme attendue par les actionnaires ? Le jeu est classique mais la tension peut être forte puisque l'enjeu porte sur l'avenir d'individus.

 

1.3.         La diversité comme croyance

 

Une autre vision de la diversité comme axe stratégique de légitimation est de la penser comme une croyance ou un élément de croyance, avec l'enjeu de s'insérer dans un système de croyances communes. Elle participe alors à la création de normes culturelles selon la théorie néo-institutionnaliste (Di Maggio et Powel, 1991). L'enjeu pour l'entreprise est de se faire accepter, d'être en phase avec ses parties prenantes, sinon, elle court le risque d'être considérée comme illégitime. Pour être perçues comme légitimes, les options stratégiques devront s'inscrire dans le système de croyances de l'ensemble des parties prenantes. Il ne s'agit pas seulement d'être désirable (c'est-à-dire faire momentanément ce qui est attendu), mais d'être acceptée au sein d'un secteur ou d'un milieu.

 

L'entreprise va alors mettre en place un certain nombre de stratégies pour acquérir cette légitimité, dans une logique de construction avec ses parties prenantes. Cette stratégie peut alors être qualifiée de substantielle (Capron et Quairel-Lanoizé, 2004) : le management de la diversité va peser sur des choix d’investissement lourds, quel que soit le domaine, RH, marketing, financier.

 

1.4.         Les différents types de légitimité

 

On peut distinguer trois formes de légitimité (Suchman, 1995) :

 

- La "légitimité pragmatique" : c'est le cas d'une réponse immédiate à une attente d'une partie prenante, cette légitimité peut être alors le fruit d'une influence, d'un "échange" ou de la preuve de la bonne volonté de l'entreprise à l'égard de cette partie prenante. Les exemples sont très nombreux dans le cadre du management de la diversité : telle entreprise va diversifier ses recrutements pour répondre à la pression politique de son environnement (cas de la Grande Distribution, dont le groupe Casino est un très bon exemple), telle autre est amenée à maintenir dans l’emploi des seniors ou à faire évoluer des femmes pour répondre aux attentes de son autorité de tutelle (la mise en œuvre d'"actions correctrices" dans le cadre d'accords négociés suite à la loi du 13 Juillet 1983 pour la parité en est une illustration).

 

- La "légitimité morale" : on est alors dans le choix moral, avec la réponse à : "est ce la bonne chose à faire ?", en évaluant par exemple l'action à l'aune de son apport au bien être de la société. On évalue classiquement l'action en termes de conséquences, ou par rapport aux règles de l'organisation : charte éthique, charte de la diversité … Dans ce cadre, le management de la diversité véhicule des valeurs morales. Il est clair qu’un recrutement de personnes handicapées ou d’origines ethniques minoritaires est analysé comme « éthique » ou « «moral », même si, dans le cas des travailleurs handicapés, il est surtout contraint par des dispositifs légaux de "quotas" (loi de 1987 modifiée par le loi du 11 février 2005 obligeant les entreprises de 20 salariés et plus à compter 6 % de travailleurs handicapés dans leurs effectifs).

 

- La "légitimité cognitive": ce type de légitimité pose la question du "sens" que donne l'entreprise à ses actions menées dans un domaine donné (le management de la diversité le cas échéant). C'est aussi la façon dont l'entreprise transmet ce qu'elle fait : est-elle lisible ? Est-elle compréhensible ? Peut-on prédire ses options ou ses actions à venir ?  

Un enjeu est de construire sur le long terme, de façon à ne pouvoir être remise en question, à être légitime. Des filiales de grands groupes internationaux, arrivées très tôt sur le terrain de la lutte contre les discriminations, puis du management de la diversité, comme Hewlett Packard ou l’Oréal, sont en passe d’acquérir cette légitimité sur ce thème.

 

1.5.         La première légitimité de l'entreprise est la recherche de performance : application au management de la diversité

 

Pour être légitime vis-à-vis de ses parties prenantes, l'entreprise doit, en premier lieu (Carroll, 2004) asseoir sa légitimité sur sa performance économique. La première responsabilité de l'entreprise, comme le rappellent avec pragmatisme, les chartes éthiques nord américaines, est de faire du profit. Les normes culturelles qui définissent l'entreprise intègrent également cette notion de responsabilité économique.

 

Un cadre théorique permettant de résoudre cette tension entre ambitions de performance économique et investissement social est celui du "business case" (Landrieux-Kartochian, 2005), qui permet à l'entreprise de raisonner en termes de performance et de retour sur investissement pour les actions qu'elle met en œuvre.

  

Ainsi, la stratégie du management de la diversité se justifie par de meilleurs recrutements, un plus grand investissement des salariés, un turn over plus faible, une montée en compétences, une meilleure attractivité de l'entreprise … (Cornet, A., Delhaye, C., Crunenberg, G., 2005). Chaque financement est alors perçu selon une logique d'investissement immatériel qui trouvera un retour positif, à plus ou moins court terme.

Parallèlement à cette hiérarchisation des priorités, un autre type d'arbitrage se met en place, celui concernant les différentes parties prenantes.

 

1.6.         Les différentes parties prenantes : quelle hiérarchie ?

 

La question de l'arbitrage entre économique et social est essentielle, mais se pose aussi le problème de la hiérarchie à établir entre parties prenantes comme du seuil d'acceptabilité de leurs attentes. Il s'agit de bien connaître ces parties prenantes et de dessiner leur rôle dans la stratégie globale de l'entreprise: est ce le client qui prime ? L'environnement local ? Le jeu concurrentiel ? Ceci implique l'activation d'une veille sociétale, légale, environnementale …

 

Une fois les attentes définies, et cette hiérarchie établie, l'entreprise à tout intérêt à intégrer ces parties prenantes dans la mise en œuvre des actions pour instaurer le dialogue, engager les acteurs concernés, réguler leurs exigences…. Ce sera par exemple la rédaction de la charte de la diversité en concertation avec les représentations syndicales, ou la coopération avec des associations d'insertion du quartier ou de la ville pour le recrutement de cibles spécifiques de la population (Casino a par exemple travaillé en étroit partenariat avec les ANPE locales à Roubaix et Vaulx-en-Velin). Il s'agit alors d'un processus construit par itérations successives, entre l'organisation et ses partenaires, pour l'établissement des normes qui vont établir l'organisation dans sa légitimité.

 

Le dernier enjeu de ce dialogue, et non le moindre, est d'être lisible, compréhensible, repérable, dans son environnement, ce qui implique une bonne maîtrise du discours et des outils de communication. Ce sera l'objet de la deuxième partie de cette communication et la deuxième grille de lecture du management de la diversité.

 

2.         le discours sur le management de la diversité dans la conduite de changement

 

En management, faire ne suffit pas, il faut "faire savoir" et la notion de "discours" est essentielle, comme nous l'avons déjà entraperçu. Nous allons interroger le discours du management de la diversité selon deux points de vue : intrinsèquement, sur le fond et la forme, et de façon procédurale, c'est-à-dire l'impact qu'il peut avoir sur le changement qu'il est censé décrire.

 

2.1.         Définition du discours

 

Le mot "discours" vient du latin discurrere : "courir ça et là", et fait référence aux mots qui courent entre deux orateurs-le développement oratoire sur un sujet déterminé. Le dictionnaire le définit comme : "l'ensemble des manifestations verbales, orales ou écrites, tenues pour significatives d'une idéologie ou d'un état des mentalités à une époque".

 

Nous élargissons rapidement cette définition pour retenir celle de Fairclough (1998) :"Le discours est façonné par les structures, mais contribue également à les former et reformer, à les reproduire et les transformer. Ces structures sont plus directement d'une nature discursive/idéologique – ordre de discours, codes et leurs éléments tels que le vocabulaire ou les conventions sur la prise de parole- mais elles incluent également sous une forme médiatrice, les structures politiques et économiques, les relations sur le marché, les relations de genre, les relations au sein de l'Etat et au sein des institutions de la société civile telles que l'éducation". Cette définition souligne le non-sens du discours "en soi", et lui redonne un sens dans l'inclusion du contexte comme son influence sur ce contexte.

Cette définition élargie est d'autant plus importante et pertinente dans un monde qui est de plus en plus fondé sur la communication, le discours, l'illustration.

 

2.2.         Le relais par les medias du discours managérial 

 

Nous sommes maintenant dans une société où les technologies de l'information, les medias et la communication jouent un rôle essentiel dans la diffusion des idées, des représentations, des croyances partagées, des idéologies (Wolton, 2003). Deux points semblent caractériser la communication de cette époque dite postmoderne ou hypermoderne (Aubert, 2004) :

 

 

- la durée de vie extrêmement courte des informations, qui n'a d'égal que leur intensité (ne parle-t-on pas de matraquage ?). Nous sommes dans une société du zapping et le citoyen-consommateur d'informations est dans une attente permanente de nouveauté, il en est ainsi de toute l'actualité des entreprises, ce qui nous renvoie au risque de "péremption" du concept de management de la diversité, cette question rejoindra notre interrogation des phénomènes de modes en management des organisations.

 

 

- la violence (symbolique) faite aux phénomènes complexes et la réduction qu'on en fait. Ainsi le management de la diversité n'est bien souvent que slogans ou « gros titres » : "l'embauche de 50 jeunes des cités" ou "le parcours éblouissant d'une mère de famille". On ne montre plus que l'arbre qui cache la forêt, la nuance n'est pas de mise, et le fragment remplace l'image complète. Le principe de métonymie est fondateur de cette production incessante d'"informations". Nous pouvons citer, à titre d'exemple, la Charte de la Diversité qui valorise le critère "ethnique" au détriment des autres points (1).

 

L'entreprise doit faire avec, et fait volontiers avec, se mettant en scène, se surexposant, répondant avec complaisance aux attentes, quitte à camoufler hâtivement les brèches, au risque de frustrer et démotiver durablement ses parties prenantes. La logique financière qui préside au destin de nombreuses entreprises amplifie cette tendance, qui donne un horizon, au mieux annuel à l'entreprise, terme qui permet la mise en place d'actions ponctuelles de recrutement, voire de formation, mais aucun enseignement dans la durée.

 

(1) Laufer, Silvera, 2006) 2 Dans un cadre légal et réglementaire très prégnant, sur lequel il va falloir communiquer (rôle de la traduction)

 

2.3.         Inclusion du contexte

 

Le contexte peut être défini comme l'ensemble des représentations partagées (2). Il n'y a donc aucune stabilité, ni du discours, ni de son contexte, mais bien un processus stratégique qui installe l'un et l'autre dans une logique de co-construction permanente. Le contexte du discours est à inclure en tant qu'action communicative qui participe de la construction de la réalité sociale et organisationnelle. Ce discours managérial a un rôle de diffusion des valeurs de l'entreprise, il doit convaincre, rassurer, agir sur les représentations, faire agir. Ainsi le groupe PSA (sur son site Internet) "garantit une égalité des traitements dans l'accès à l'emploi et dans l'évolution professionnelle", Casino promeut l'insertion de jeunes venus de l'immigration, Shell lie l'exigence de la diversité dans les équipes à celle de la "présence globale" de l'entreprise.

 

Le contexte, dynamique et évolutif, façonne le discours qui le façonne en retour. Il n'y a là aucun déterminisme, mais bien volonté stratégique de l'entreprise d'infléchir son parcours, ses réalisations en fonction d'objectifs pensés pour ses structures et ses salariés. Nous faisons l'hypothèse que le management de la diversité s'inscrit dans la volonté stratégique d'une organisation de produire du changement : ainsi, recruter des gens jusque là ignorés est un changement, établir une parité salariale est un changement, faire travailler ensemble des personnes de générations différentes est un changement …

 

Le discours va donc décrire ces changements, les analyser, et leur donner un sens. Des entreprises comme Schneider, L'Oréal, Total proposent sur leur site Internet la liste et l'analyse des actions menées jusque là, apportant ainsi la preuve d'un engagement concret et souvent ancien (largement plus d'une décennie pour Casino ou HP) Soulignons que si notre projet de chercheur est bien de savoir prendre du recul pour mieux décrypter un phénomène, nous ne pouvons en aucune façon soupçonner de cynisme les personnes qui « activent » souvent avec courage, toujours avec beaucoup d’énergie et de conviction, voire de passion, ces stratégies touchant à des êtres humains, souvent en détresse (car la discrimination est une souffrance pour ceux qui la subissent, il ne s’agit pas de l’oublier au nom d’une posture scientifique).

 

(2) Dans un cadre légal et réglementaire très prégnant, sur lequel il va falloir communiquer (rôle de la traduction)  

 

2.4.         Le rôle du discours dans la mise en œuvre du changement

 

Le discours relayé par les medias, généralistes (journaux, radios, télévisions, affichage…) ou d'entreprise (journaux internes, sites Internet, plaquettes institutionnelles …) est bien souvent, en première instance, la traduction du discours institutionnel. Ce peut être tout simplement la reprise (ou la récupération) d’un nouveau dispositif légal, c'est-à-dire un discours qui légitime le changement, car, en gestion des organisations, si le changement peut être proposé, il est bien souvent imposé, c'est le cas du management de la diversité avec l'encadrement législatif de la lutte contre les discriminations….

 

Nous pouvons ainsi citer la loi du 17 Novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations qui a élargi la notion de discrimination au-delà du sexe (3). Nous pouvons d’ailleurs faire l’hypothèse que les stratégies de « responsabilité mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du titre IV de livre II du présent code, en raison de son état de santé ou de son handicap sociale » ou « sociétale », dans lesquelles nous avons inclus le management de la diversité, sont aussi des stratégies d’anticipation sur des dispositifs législatifs qui deviennent alors contraignants, et moins facilement gérables (Frederick, 1994).

 

L'enjeu du discours de l'entreprise est aussi de le rendre légitime pour, au moins, une partie des acteurs, sinon, le risque est grand de voir le changement rejeté, faute de messages ou de pédagogie. On voit donc apparaître, dans ces discours, l'utilisation d'un nouveau vocabulaire, de nouveaux référentiels, la mise en place de comparaisons avec l’ « avant », toujours au profit du présent et de l’avenir radieux que l’on nous prépare.

 

Des techniques rhétoriques sont mobilisées comme l'utilisation de mots exprimant le contraste en vue de la valorisation du changement (Laufer, 1996) : moderne/ancien, neuf/usé, innovant/obsolète … Nous observons la mobilisation de techniques de communication éprouvée, voire de marketing, ce qui ferait pencher pour une attitude « démagogique » des entreprises : qui donneraient au public ce qu’il veut entendre ou voir, sans forcément le traduire en actes. On est alors dans la cosmétique, le travestissement, l’alibi…

 

Un discours doit produire du sens pour les parties prenantes de l'organisation et impulser une modification des représentations des relations organisationnelles, de ce qui va toucher à l'information, au contrôle, aux relations interpersonnelles : c'est une vision différente, et si possible jugée innovante, de l'organisation que l'on veut transmettre.

 

Plus fondamentalement, le discours cherche à s'adapter à chacune des parties prenantes et des sous groupes qui les composent, il doit permettre de construire ou de reconstruire la confiance malgré la violence du changement. Cette notion de confiance est essentielle dans ce type de processus, ainsi, tout salarié peut se sentir "en danger" en apprenant des recrutements différents, les notions d'égalité peuvent instiller le sentiment de perte d'avantages, ou de privilèges.

 

Les responsables de ces actions de lutte contre les discriminations et/ou de promotion de la diversité mettent largement en avant l'enjeu de leurs partenariats avec les syndicats (Ainsi le groupe Casino réunissait pour la première fois fin 2006 un "comité diversité" composé de 7 membres de la direction et de 7 représentants des organisations syndicales avec à l'ordre du jour le lancement d'un testing des procédures de recrutement du groupe.

 

Si on se souvient de définitions de la confiance : ciment émotionnel (Bennis, 1985), lubrifiant du système social (Arrow, 1974), ensemble d'attentes partagées (Zucker, 1986), on comprend que la confiance peut éviter les interprétations, et tout particulièrement, les mauvaises interprétations (de façon intentionnelle ou pas).

Admettons que parler de la diversité, c'est prendre le risque de la déstabilisation des personnes en place, du mécontentement de la clientèle … le discours, à la fois préparatoire, explicatif et annonciateur de la suite des évènements, peut contribuer à ce ciment émotionnel qu'est la confiance.

 

Car, finalement, l'enjeu du discours, c'est bien le rapport au pouvoir, les rapports entre pouvoirs, en touchant à la modification de leurs équilibres. Le management de la diversité rend du pouvoir aux Ressources Humaines, forcément au détriment d'autres discours, perçus comme étant en concurrence, discours technique ou financier. Car ce sont bien les DRH qui impulsent et implémentent le management de la diversité, puisqu'il appréhende la gestion de la carrière des salariés : recrutement (sur lequel se focalisent actuellement les pratiques), promotion, formation, "sortie".

 

Les Responsables de la Diversité (le poste existe par exemple chez l'Oréal ou HP) dépendent de la DRH, sachant que la question se pose du bien fondé de cette appropriation systématique, et qu'une vision plus transversale serait certainement porteuse de créativité et d'efficience. On peut finalement affirmer que le discours diffuse une idéologie managériale car les mots touchent au pouvoir symbolique (Bourdieu, 1982). C'est bien le cas pour le management de la diversité.

 

(3) Il est inscrit dans son article 1 : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de Dans une vision stratégique, le contexte est à la fois contrainte et opportunité pour l'organisation, vue comme un acteur stratège, façonnant son environnement pertinent (Perroux, 1973). Le discours participe de cette inclusion et de cette production.

 

(4) La discrimination a été aussi source de progrès social : nous pouvons citer le cas de l'interdiction du travail des enfants.

 

2.5.         Le discours sur le management de la diversité

 

Il y a bel et bien undiscours du management de la diversité, avec la diffusion de quelques idées forces qui en constituent l'armature commune.

On peut ainsi extraire :

- la posture de l'"entreprise - acteur social", s’inscrivant ainsi dans tous les messages autour de l’entreprise responsable, de l’entreprise citoyenne,

- l'objectif d'être le reflet d'une société de plus en plus diverse : le monde bouge, il est de plus en plus divers, ou, du moins, les populations sont de plus en plus « brassées », mélangées, grâce, entre autres, à l’ouverture des frontières et au développement des transports,

- l'évidence pour tous, du refus des discriminations, il est actuellement « politiquement correct » de refuser la discrimination 4,

- le postulat de performance et de créativité des équipes diverses : on lit régulièrement des articles et des ouvrages prônant la diversité pour gagner en performance (Stoner, Russel-Chapin, 1997 ; alors que rien n’est véritablement démontré (Von Bergen, Soper, Foster, 2002 ; Jones, Stablein, 2006),

- l'idée d'une solution à des problèmes à la fois nombreux et divers : gérer des seniors motivés, c’est éviter la perte des savoirs, recruter des jeunes de lycées des « quartiers », c’est attirer des forts potentiels, avoir la parité dans ses équipes, c’est infléchir des styles de management,

- la simplicité de mise en œuvre : beaucoup d’entreprises donnent le sentiment ou affirment haut et fort avoir toujours pratiqué du management de la diversité « sans le savoir », c’est le syndrome, classique, de Monsieur Jourdain en management stratégique, mais aussi la réduction du phénomène en pensant par exemple que gérer des équipes multiculturelles démontre un savoir faire suffisant en management de la diversité;

- l'absence d'effets négatifs : il n’y a pas de dégâts collatéraux dans la mise en œuvre du management de la diversité, ou bien, on en fait abstraction. Tout au plus, sont admis des « investissements » immatériels, ou des investissements matériels à fort retour (on pense ici aux adaptations des locaux et des installations pour l’accueil de travailleurs handicapés. Les témoignages induisant des doutes, sont rares, pourtant, on a pu constater aux Etats-Unis, les problèmes importants que pouvait poser des recrutements fondés sur l'"affirmative action".

 

Nous souhaitons que ce discours permette de lever les freins inhérents au changement qu'induit le management de la diversité, mais nous appelons à une vigilance sur un discours trop réducteur ou elliptique, qui ne serait plus crédible auprès des acteurs concernés par le changement, et qui les conforterait dans un refus d'évolution, plutôt que d'être un levier de production de changement.

 

Il est essentiel que le management de la diversité s'arrime à une volonté stratégique forte, qui permettra les arbitrages en sa faveur, devant tous les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser dans sa mise en œuvre. Un discours peut produire véritablement du changement, mais il doit être "sous contrôle" pour que ce changement soit bien en phase avec la stratégie globale de l'organisation. Nous ne pouvons pour autant faire l’économie d’un questionnement du management de la diversité comme effet de mode managériale.

 

3. Le management de la diversité : une mode managériale ?

 

3.1. Qu'est ce qu'un effet de mode ?

 

Le terme de mode est en général réservé aux formes culturelles et esthétiques des sociétés humaines, c'est le cas de domaines comme l'habillement, l'alimentation, les œuvres artistiques … mais cela touche aussi le choix des prénoms des enfants ou des destinations touristiques. La mode se définit comme une manière de vivre, de penser, propre à une époque, à un pays, à un milieu, et elle participe d'une mise en conformité des individus entre eux.

 

On l'analyse en marketing comme le besoin d'appartenance à un groupe auquel un individu s'identifie, cette appartenance pouvant être réelle ou imaginaire (en adoptant par exemple le dress code des adeptes du rap…). La mode varie par définition, comme son besoin de la suivre (ou pas, car il peut aussi "tendance" de ne pas être trop conforme … ce qui nous conduit à observer des phénomènes comme la customisation c'est-à-dire la différentiation comme moyen d'être "comme les autres").

 

Le phénomène de leader d'opinion est donc très important, puisque chaque individu se constitue ses propres référents, on peut distinguer :  

- Le leader d'opinion : le consommateur a alors tendance à adopter vis-à-vis de lui une attitude de suiveur, beaucoup de politiques marketing dans la mode (fashion) exploitent ces comportements, en repérant les "people" du moment qui pourront convaincre de l'achat de tel ou tel vêtement ou accessoire.

- Le prescripteur, qui influence plus directement le consommateur : la maman d'une petite fille, la "copine", si on reste dans le vêtement à l'adolescence …

Une mode est donc un phénomène complexe, construit, qui n'a de sens que dans un système d'interactions sociales. Cette courte définition nous permet de faire la transition avec la notion de "modes managériales", qui peut sembler être, d'emblée, un oxymore.

 

3.2. Qu'est ce qu'une mode managériale

 

Nous nous posons donc la question, à la suite d'Abrahamson (1991, 1994, 1996) de la notion de modes en management. Ainsi, il est facile d'observer que bon nombre de méthodes, d'outils, de dispositifs managériaux sont adoptés par les entreprises selon une évolution "en cloche", ils connaissent des phases successives de naissance, de développement, de maturité, puis de déclin, limitées dans le temps, avec des rythmes qui peuvent être variables. Ce seul descriptif ne suffit pas, selon Abrahamson, à définir une" mode managériale", ou un concept de management "à la mode", il faut aussi qu'ils soient développés et proposés avec des méthodes commerciales, par des fashion setters, des faiseurs de mode, des offreurs de recettes, plus que de solutions pérennes pour les organisations.

 

La distinction est importante, mais il nous semble qu'elle apporte seulement une nuance de description du même phénomène. En effet, que pouvons-nous constater ?

Les organisations sont dirigées par des individus, ces managers sont à la recherche de réponses pour affronter les changements, or, ces changements étant incessants, leurs attentes sont fortes de trouver des méthodes, des outils qui pourraient les aider dans leur tâche. Deux critères de choix sont alors actionnés (consciemment ou pas) :

 

  1 : La recherche d'efficacité et d'efficience de ces méthodes

 

  2 : Leur "nouveauté", c'est-à-dire qu'elles renouvellent les façons de faire et de penser, mieux, qu'elles donnent le sentiment d'aller dans le sens du progrès, qu'elles portent ce progrès.  

                        

 3 :  Un troisième critère est qu'elles revêtent un aspect rationnel, on pourrait même dire "sérieux". En effet, le manager est sous l'effet de deux types d'évaluation : la fin et les moyens, et le choix de nouvelles méthodes de management conditionne sûrement le succès de l'organisation mais aussi la "qualité" perçue du manager. Autrement dit, les parties prenantes dont il dépend, (comme ses actionnaires ou autorité de tutelle) vont l'évaluer sur la qualité de ses résultats, et s'ils sont positifs, peut être ne pas trop s'attarder sur les méthodes… par contre, dans le cas où ces résultats sont négatifs, il faudra que le manager prouve qu'il avait fait les bons choix stratégiques. Or, faire les bons choix en management, c'est savoir réingéniérer, et donc avoir fait le choix de méthodes innovantes et d’apparences rationnelles.

 

Nous retrouvons donc le besoin de changement et de conformité, qui caractérisent tout phénomène de mode tel que décrit précédemment. Pour illustrer le propos, nous pouvons prendre l'exemple des cercles de qualité : une enquête sur ABI Inform montre la multiplication des articles dans des revues managériales et de recherche en gestion à partir de 1980 et leur baisse après 1983. Un tiers des entreprises américaines de plus de 500 personnes (source : New York Stock Exchange, 1982) adoptent les cercles de qualité entre 1980 et 1982. Lawler et Morhman (1985) estiment que 90 % des entreprises Fortune ont adopté les CQ pendant cette période et Castorina et Wood que 80 % de ces 500 entreprises les avaient abandonnés en 1987 (Castorina, Wood, 1988) !

 

Et pourtant, dans le cadre de la théorie néo-institutionnelle (Meyer, Rowan, 1977), les chercheurs montrent que, sans l'adoption de ces outils ou méthodes, les stakeholders sont moins enclins à penser l'organisation efficace. A une proposition, il va donc en succéder une autre, soit diamétralement opposée dans les principes ou la mise en œuvre (principe du balancier), soit revue selon le principe d'innovation incrémentale car, sans bien y répondre, la méthode en question a su poser les bonnes questions ou mettre au jour de vraies attentes. Ce qui était indubitablement le cas des cercles de qualité dans leur capacité à "donner la parole" aux salariés des entreprises, et à penser l'organisation plus transversalement. Le rapprochement avec l'innovation et le recours aux théories dont elle est l'objet, permet de réfléchir au processus de développement d'une mode en management.

 

3.3. Le processus d'une mode managériale

 

On peut légitimement faire un parallèle avec la diffusion de la création, ou de l'innovation. On retient donc classiquement quatre phases :

- La première phase est la création, elle peut venir de la recherche, du cabinet de conseil, comme de l'entreprise.

  

- C'est dans la deuxième phase qu'interviennent les chasseurs de talents (talent scouts), des personnes qui repèrent les tendances, l'"air du temps".

 

- La création ou l'innovation repérée est ensuite prise en main par les "faiseurs de mode" (fashion setters) qui vont convaincre de son efficacité, de sa nouveauté, et de sa rationalité. Ils leur faut souvent employer des arguments rhétoriques : dramatiser la situation, annoncer le pire sans cette intervention, faire des promesses, promettre des miracles, s'appuyer sur des références réussies (on se souvient bien sûr du miracle japonais avec les zéro stocks …). Ils peuvent également repérer des recherches ou des travaux académiques allant dans leur sens, même partiellement, et leur donnant une caution "scientifique", bien utile dans cet univers incertain.

 

- La quatrième et dernière phase est celle de la dissémination via les media, ce sont d'abord les magazines spécialisés, puis les media de masse, ceci en fonction des enjeux et du périmètre de la méthode à promouvoir. Les succès sont décrits, expliqués, disséqués, permettant la diffusion du concept mais aussi assurant la publicité et la promotion de ceux et celles qui le mettent en œuvre.

 

On est alors proche du déclin, car, l'adoption par tous, comme pour tout phénomène de mode, édulcore la nouveauté de la méthode et l'identité de précurseur de son utilisateur. On observe que, quand des entreprises de "second rang" (moins connues, ou connues pour être peu innovantes) s'emparent du phénomène, les entreprises leaders et progressistes sont en phase d'abandon. Simmel montrait déjà en 1957 que la mode jouait un rôle d'arbitre dans le statut des individus, il en va de même pour les entreprises et leurs managers.

 

Qui sont finalement les acteurs de ces phénomènes de modes ? Nous pouvons citer les écoles de commerces, les consultants, les éditeurs, les leaders en formation (gurus), les figures d'entreprise (heros managers), les medias avec leurs vulgarisateurs (chargés de décrire l'expertise scientifique). Nous n'entrerons pas dans le débat de savoir si certains sont plus (ou moins !) légitimes que d'autres, comme le fait Abrahamson (1996). Nous admettons néanmoins avec lui que le monde universitaire ne joue pas toujours son rôle de modérateur ou de débatteur, mais, à sa décharge, a-t-il droit à la parole dans un débat public, où tout doit être simplifié à l'extrême, et s'inscrire dans une durée la plus courte possible ?

 

Ce que l'on peut constater, et qui amplifie la difficulté de l'évaluation, c'est la multiplication des propositions quand le contexte se fait plus difficile : plus la pression est grande, et la menace perceptible, plus les managers sont en attente, ou à la recherche de méthodes et/ou d'outils immédiatement opérationnels et garantissant des résultats (des "recettes" ?). Devant de telles demandes, le "marché" du conseil, de l'accompagnement au changement, du management, est donc largement sollicité.

 

3.4. En quoi le management de la diversité peut être un effet de mode ?

 

En repérant certains signes, nous nous posons la question de l'effet de mode pesant sur le management de la diversité, ce qui est différent de dire du management de la diversité qu'il estune mode managériale.  

 

Si nous faisons un recensement sur Business Source Premier des articles écrits sur le management de la diversité, nous retrouvons cette courbe ascendante (si nous prenons le descripteur "diversity in the workplace", le nombre d'articles est respectivement de : 1993 : 49, 1994 : 48, 1995 : 100, 1996 : 130, 1997 : 121, 1998 : 174, 1999 : 236, 2000 : 250, 2001: 201, 2002 : 239, 2003 : 285, 2004 : 366, 2005 : 373 et 2006 : 432), sachant que nous n'avons pas le recul nécessaire pour diagnostiquer la forme de &quo

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